Ni dieu, ni Halusky
À force d'avancer masqué, on finit par douter de sa propre existence. Ma mère avait louvoyé toute sa vie, en évitant soigneusement de révéler ses origines. Elle avait dû ruser, adopter consciencieusement les comportements et les usages du groupe qu'elle avait intégré. Elle avançait dans l'existence comme si le chemin était semé d'embûches, comme s…
À force d'avancer masqué, on finit par douter de sa propre existence. Ma mère avait louvoyé toute sa vie, en évitant soigneusement de révéler ses origines. Elle avait dû ruser, adopter consciencieusement les comportements et les usages du groupe qu'elle avait intégré. Elle avançait dans l'existence comme si le chemin était semé d'embûches, comme si elle s'attendait à ce qu'un ennemi en embuscade lui tombe sur le dos à tout moment, afin de désigner aux yeux de tous, la fille du boucher slovaque.
L'intuition que notre famille souffrait de stress identitaire m'est venue vers vingt ans sans que je puisse définir précisément les contours de ce mal. Nous n'étions ni nostalgiques, ni déracinés, nous partagions les valeurs et la culture d'un pays dans lequel nous étions tous nés et notre assimilation impeccable se traduisait par une méconnaissance quasi-totale des langues des pays d'où, moins de quarante ans plus tôt, nos aînés avaient émigré.
En fait, c'est précisément le déficit identitaire qui nous caractérisait ou plutôt le rejet méthodique de tout ce qui aurait pu nous relier aux patries de nos ancêtres. Ce n'est que beaucoup plus tard que j'ai compris que c'était précisément cette absence, ce manque de repères qui avait pesé sur nos relations familiales.
Fiche technique
- Auteur
- Jean-François Füeg
- Collection
- Libres Écrits
- Langue
- Français
- Présentation
- Broché
- Nombre de pages
- 96
- Date de parution
- 30-10-2019
- EAN
- 9782930408439
- Dimension (cm)
- 11 x 16,8 x 0
- Poids
- 0.400 kg
- Pays
- BE